En 1899, âgé de vingt-trois ans, Louis de Boccard se joignit à un
groupe
Émigré·es vs colonisateur·rices
fribourgeois·es qui partaient s’installer avec trente vaches et trois
taureaux dans la colonie suisse de Bragado, située dans la région de
Buenos Aires, la capitale de l’Argentine. Ils avaient l’intention d’y
lancer la production du gruyère. Boccard poursuivit son voyage jusqu’à
la ville argentine de La Plata, où il travailla dans le musée local
d’histoire naturelle. Des expéditions dans la nature soi-disant «
vierge » d’Amérique du Sud piquèrent sa curiosité, mais éveillèrent
aussi chez lui un intérêt commercial.
Boccard est né le 8 mai 1866 dans la ville de Fribourg et grandit dans
une famille patricienne fortunée. Après son service militaire, il
travailla dans l’exploitation agricole de son père, le
Domaine du Marais à Sugiez. En 1895, la famille céda ce bien
pour près de 100 000 francs à la ville de Fribourg, qui y édifia le
pénitencier de Bellechasse. À Bragado, en Argentine, Boccard travailla
d’abord dans une fromagerie et en tant que secrétaire de la colonie,
avant de s’installer à La Plata. Le Musée d’histoire naturelle
l’engagea comme conservateur et préparateur. Peu après son arrivée à
La Plata, Boccard se lança dans l’organisation d’expéditions
scientifiques, touristiques et politiques à travers le continent
sud-américain.
Son
Photographies coloniales
ne le quittait jamais et Boccard exploita même pendant un certain
temps son propre studio photo. Ses archives contiennent plus de 900
clichés pris en Argentine, au Paraguay, au Chili, au Brésil et en
Suisse. Il documentait ses nombreux voyages dans des albums où chaque
image était très précisément annotée. Les
« Peuples primitifs »
peuples dits « primitifs »
comme les Cainguas, Guayaki et Angaités faisaient partie de ses sujets
favoris. Il en imprimait des cartes postales pour vendre ses sorties
de chasse et ses expéditions scientifiques en Amazonie à de riches
clients.
La carte postale de 1931 montre Louis de Boccard vêtu à la manière « coloniale » dans le décor classique des photographies prises dans les colonies.
Lors de ses excursions, Boccard ne satisfaisait pas seulement sa soif
d’aventure et sa passion pour la photographie, mais s’employait aussi
à tirer un profit commercial de la nature et des populations
prétendument intacte qu’il rencontrait en Amérique du Sud :
Je suis arrivé à me convaincre que je dois mettre à profit la grande
expérience et la pratique que j’ai des explorations et de la manière
de traiter avec les Indiens, pour former une expédition commerciale
et scientifique dans les territoires encore presque inconnus habités
par les Indiens qui vivent à l’état sauvage dans les mystérieuses et
immenses forêts vierges du Grand Chaco, au Paraguay, de la Bolivie
et du Brésil, afin d’en prendre les films cinématographiques les
plus variés et d’un émouvant intérêt scientifique, et surtout d’un
grand et lucratif profit pécuniaire. (…) Je suis persuadé que si les
Nord-Américains connaissaient ces Indiens et se rendaient compte du
profit qu’on peut en tirer, ils s’empresseraient de réaliser une ou
plusieurs expéditions analogues à celle que je propose. Ne nous
laissons donc pas devancer et hâtons-nous.
Cette citation montre comment, chez Boccard, la fascination du
scientifique pour l’« Autre » supposé prémoderne se mêlait chez
Boccard avec la conscience d’avoir découvert un modèle économique
lucratif. On y perçoit aussi un sentiment d’urgence caractéristique de
l’époque : comme la « civilisation occidentale » et la « modernité »
auront bientôt conquis les coins les plus reculés de la planète, c’est
le moment de faire de bonnes affaires avec les expositions exhibant
des communautés prétendument « intactes ». Les projets commerciaux de
Boccard peuvent être vus comme une forme de tourisme colonial.
Outre son exploitation agricole, Boccard dirigeait un hôtel à Buenos
Aires. Il travaillait aussi comme diplomate au service de l’État
argentin. Pour le compte d’un général, il accomplit une mission
secrète au Chili afin de se renseigner sur la force militaire de ce
pays. Boccard déconseilla au général argentin de s’engager dans une
guerre avec le pays voisin compte tenu de la supériorité militaire de
celui-ci. On voit que Boccard, représentant de la classe supérieure
européenne, était même consulté par l’élite politique locale.
Boccard garda toute sa vie des liens étroits avec sa famille et ses
amis influents dans son canton d’origine. Ceux-ci mobilisèrent
régulièrement leurs réseaux pour financer les projets et les
entreprises de Boccard dans les pays lointains. Les animaux abattus
lors de ses nombreuses expéditions – et empaillés par ses soins –
venaient non seulement garnir sa collection privée et celle du
Museo de La Plata, mais certains furent également envoyés en
Suisse. Ils permirent au
Musée d’histoire naturelle de
Fribourg de constituer une
Collections coloniales